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blog - Brigitte Fernandez

Tax Shelter gaming : coup de pouce ou coup de balai ?

21/12/2022
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Photographer: johnkellerman | Copyright: Sylvain Sonnet
  • Le Tax Shelter est régi par la Commission Européenne.
  • C’est une nouvelle source potentielle de financement pour le gaming.
  • Trois secteurs se partageront désormais l’enveloppe Tax Shelter.
  • Les jeux vidéo ne bénéficieront pas de l’exception culturelle belge.
  • Vers une autorégulation pour éviter les dérives ?

À partir de janvier 2023, le gaming pourra bénéficier du système tax shelter comme le cinéma et les arts de la scène. C’est un pas vers la croissance d’un secteur en développement mais cette évolution pose aussi des questions. Nous les avons posées à Virginie Nouvelle, directrice de Wallimage.

Depuis 2021, Wallimage Gaming, la section jeu vidéo de Wallimage, finance les projets wallons dans le secteur. « Nous intervenons au projet à condition que celui-ci fasse travailler des studios wallons. C’est un principe de territorialisation des dépenses. Nous investissons dans un projet de jeu vidéo à condition qu'il y ait des prestataires, des studios, des gens de Wallonie qui sont impliqués dans la fabrication.

Souvent, c’est un studio wallon qui dépose un dossier pour des prestations qu'il va faire au sein de son propre studio, afin que nous financions une partie de ces prestations. En contrepartie, nous devenons coproducteurs du jeu, avec un accès aux recettes d'exploitation de celui-ci. Mais si le jeu ne rencontre pas de succès commercial, nous n’avons pas de retour sur investissement. L'objectif premier de Wallimage Gaming est de favoriser la création d'activité en Région wallonne. Si cela permet de générer des recettes d'exploitation, c’est un plus non négligeable qui nous permettra d’autofinancer en partie les investissements futurs. »

Wallimage Gaming s’inscrit donc comme une source possible pour financer la création d’un jeu vidéo, en parallèle au Tax Shelter.

L’exception culturelle belge en question

« Le Tax Shelter actuel est un principe assez comparable au nôtre puisque c'est aussi la territorialisation des dépenses mais au niveau belge. On peut aller chercher de l'argent auprès d’investisseurs qui vont obtenir un bénéfice fiscal en conclusion de cet investissement à condition que cela génère des dépenses de fabrication en Belgique. »

Ceci est valable pour les deux secteurs actuellement concernés. Là où les choses se corsent, c’est au niveau de cette territorialisation en ce qui concerne le gaming. Le Tax Shelter est géré par l’Europe. C’est donc la Commission européenne qui valide le mécanisme. « Voilà pourquoi ce n’est pas un sujet facile. L’idée était de dupliquer le Tax Shelter audiovisuel. Pour ce dernier, l’Europe a, sur base de l'exception culturelle du cinéma, accepté que la territorialisation des dépenses soit précisée en Belgique. Les textes sur le Tax Shelter expliquent clairement que c'est un incitant fiscal qui est au bénéfice des dépenses belges. Il y a une un regard sur la quantité de dépenses belges, un regard sur la quantité de dépenses européennes et de là, le calcul est fait pour déterminer le montant Tax Shelter qui peut être investi dans le projet. »

Le jeu vidéo n'est pas reconnu comme un bien culturel, il n’y a par conséquent pas cette exception culturelle. (...) Le caractère belge est (...) toutefois induit par le test culturel.” (Virginie Nouvelle, Wallimage)

Cette territorialisation belge a été refusée par l’Europe pour les jeux vidéo. « Le jeu vidéo n'est pas reconnu comme un bien culturel, il n’y a par conséquent pas cette exception culturelle. Les aides publiques sont réglementées par la Commission européenne et le caractère belge est inscrit moins fermement. Il est toutefois induit par le test culturel. »

Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? « Si on lit la loi stricto sensu, les dépenses doivent être européennes. On pourrait ainsi imaginer que du Tax Shelter belge, qui coûte de l'argent à l'état – puisque c'est une déduction fiscale donc un manque à gagner pour l'état qui perçoit moins d’impôts –, se fasse au bénéfice d'un jeu fabriqué en Italie par exemple. Mais ce risque est limité par le test culturel qui exige un caractère belge, sous diverses formes possible. »

Les limites du test culturel dans le Tax Shelter gaming

« Dans la loi, un test culturel est imposé. C'est celui que Wallimage utilise – car, en tant qu’aide publique, nous sommes réglementés par la Commission européenne et avons donc fait notifier notre règlement par elle. Notre règlement est donc en règle avec l’Europe. Dans ce règlement figure un test culturel, qui est la première étape pour juger si un dossier peut être déposé chez nous ou pas. Ce même test culturel va être utilisé pour le Tax Shelter. La territorialisation des dépenses y est incluse. En effet, il faut remplir deux critères sur trois. Ces critères sont par exemple que des membres de l'équipe connaissent la Belgique ou y ont vécu ou y ont fait des études. Mais on ne peut nier que les exigences en termes économiques sont moins inscrites que pour l’audiovisuel. C’est sans doute pour cela que le Tax Shelter gaming a mis du temps à passer. »

“Si cela permet de passer un cap, de créer des emplois, de nouveaux studios, ce serait très, très bien car les sources de financement pour les projets sont rares.

Une réelle nouvelle source de financement pour le gaming

À côté de ces risques, le Tax Shelter pour les jeux vidéo est une réelle avancée. « Je vois aussi d’un très bon œil cette évolution car c'est une industrie avec beaucoup de potentiel. En Région wallonne, elle est en retard, il y a un potentiel de croissance très important. Donc si cela permet de passer un cap, de créer des emplois, de nouveaux studios, ce serait très, très bien car les sources de financement pour les projets sont rares. À part Wallimage, on compte seulement deux fonds privés, Fors VC et Inviga.

Une autre bonne nouvelle est que le centre du cinéma de la Fédération Wallonie Bruxelles a également récemment débloqué des moyens pour le développement de jeux vidéo. On sent qu'une dynamique s'enclenche mais cela reste compliqué de financer un jeu vidéo et le Tax Shelter va aider. J’espère que ça sera utilisé strictement pour des projets belges et qu’il n’y aura pas de dérives avec des projets qui n’ont rien à voir avec la Belgique. C’est l’enjeu. »

Une enveloppe, trois secteurs

Le mécanisme du Tax Shelter ne changera pas avec l’ajout du gaming. « Ce sont des sociétés privées qui vont investir dans des projets et qui, grâce à cela, vont recevoir une déduction fiscale, ce qui donne un rendement final d’environ 5 %. C’est donc un produit financier rentable. Ces sociétés qui veulent investir en Tax Shelter doivent remplir certains critères, comme être en bénéfice. Pour le moment, toute l’enveloppe Tax Shelter disponible est au bénéfice du cinéma et des arts de la scène. D’ici peu, les jeux vidéo vont s’ajouter.

À ce stade, les critères ne permettent pas à plus d’investisseurs potentiels de bénéficier du mécanisme. Cela veut dire qu’à priori, la même masse d'argent disponible va être répartie auprès de trois secteurs au lieu de deux. Mais pour rassurer les deux autres secteurs, on peut souligner qu’au début, le jeu vidéo ne va pas être très consommateur. Par rapport à la masse globale d'argent, cela va représenter un pourcentage limité au regard de l’industrie développée en Belgique aujourd’hui (il n’y a pas la possibilité de financer des centaines de projets par an). Dans un premier temps, les jeux vidéo ne devraient pas être très gourmands. De plus, la loi prévoit des plafonds.

Tout cela devrait fonctionner, à condition qu’il y ait une volonté globale du secteur et des divers intervenants de respecter cette notion belge au-delà de ce que la loi impose. »

L’ouverture du Tax Shelter au gaming est incontestablement une bonne chose à l’unique condition qu’il soit appliqué de manière intelligente et en bonne adéquation avec l’esprit visé. Les professionnels impliqués, les studios mais surtout les intermédiaires Tax Shelter, ont donc un vrai rôle à jouer dans la réussite du mécanisme.” (Virginie Nouvelle, Wallimage)

Ainsi, la responsabilité du secteur se dessine dans la réussite du projet. « Si l’on veut que le système soit pérenne, il faut viser une maximisation des retombées belges. Si une mauvaise application se traduit par une déperdition d'argent vers d'autres territoires, ce sera doublement pénalisant. D’une part, l’objectif visé ne sera pas atteint puisque l’impact pour l'industrie du jeu vidéo en Belgique sera limité. D’autre part, ce sera beaucoup plus pénalisant pour les deux autres secteurs car la fuite d’argent serait potentiellement beaucoup plus importante.

L’ouverture du Tax Shelter au gaming est incontestablement une bonne chose à l’unique condition qu’il soit appliqué de manière intelligente et en bonne adéquation avec l’esprit visé. Les professionnels impliqués, les studios mais surtout les intermédiaires Tax Shelter, ont donc un vrai rôle à jouer dans la réussite du mécanisme.

Je suis donc très contente qu’il y ait une nouvelle source de financement pour le jeu vidéo et j’espère qu’une autorégulation va se faire pour aider des projets qui ont effectivement des retours intéressants pour la Belgique et plus particulièrement pour la Wallonie en ce qui me concerne. »

Quelles seraient les pistes possibles pour limiter les risques de dérives ?

Le rôle-clé des intermédiaires Tax Shelter

Quand un studio cherche des investisseurs pour financer un projet, il doit sortir de son monde pour trouver les bonnes personnes. « Dans le cinéma, des sociétés dites intermédiaires Tax Shelter se sont créées et spécialisées dans les levées de fonds Tax Shelter. Elles contactent des investisseurs potentiels, des producteurs et lèvent de l’argent pour financer des projets. »

La démarche pourrait être comparable pour les jeux vidéo. « Au niveau du jeu vidéo, on peut supposer que cela va fonctionner de manière identique, avec des intermédiaires, soit ceux qui existent aujourd'hui et qui vont s’ouvrir à ce secteur, soit de nouvelles structures qui vont se créer spécifiquement. Je penche plutôt pour la première option. »

Virginie Nouvelle poursuit sa réflexion et envisage un nouveau rôle pour ces intermédiaires, un rôle crucial dans l’application du Tax Shelter. « Je pense que ces intermédiaires vont devoir jouer ce rôle de régulateur. En effet, ils pourront décider d’être un peu plus stricts que la loi. On ne le leur reprochera jamais. La loi, c'est un cadre dont on ne doit pas s'écarter. Mais on peut être plus exigeant, ce n’est pas un problème. Par exemple, ces intermédiaires pourraient décider de ne sélectionner que des projets qui ont des retombées intéressantes pour la Belgique. Je pense que la clé est là. Ces intermédiaires devront aussi avoir un regard sélectif sur ce mécanisme pour faire en sorte que ce soit réellement au bénéfice du secteur en Belgique. »

La sélection comme solution ?

« Quand on vient nous voir avec un projet, nous analysons le dossier pour voir si l’on investit ou pas. On pourrait très bien imaginer qu’en tant que fond, nous ayons aussi un regard critique vis-à-vis de la maison de production et donc de l'intermédiaire Tax Shelter associé. Si cet intermédiaire ne joue pas du tout le jeu au niveau gaming, nous pourrions le pénaliser du côté coproduction, argumentant que l’intermédiaire ne respecte pas la volonté de la loi initiale sur le secteur du jeu vidéo et n’est donc pas digne de confiance. L’intermédiaire se grillerait un peu vis-à-vis des fonds régionaux. Ceci pourrait aider à l’autorégulation.

Je pense que des solutions comme cela sont tout à fait tangibles. Maintenant, rien n’est fixé. On ne nous a pas confié ce rôle. Il faut que les choses se mettent en place naturellement et on peut espérer que ça sera le cas car c’est dans l’intérêt de tous sur le long terme un mécanisme mal utilisé ne pourra pas être maintenu sur la durée. »

On comprend aisément l’enthousiasme teinté de réserve de la directrice car Wallimage intervient en faveur tant de l’audiovisuel que du gaming. « Nous sommes actifs sur les deux secteurs donc c’est compliqué. Nous voyons les opportunités pour le jeu vidéo mais aussi les risques pour l’audiovisuel.

Au niveau de la loi, il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre car elle doit être validée par la Commission Européenne et ils sont allés le plus loin possible car la Commission part du principe de ne pas accepter la territorialisation. Il n’y aura pas, je pense, la possibilité de durcir la loi.

Mais il faudra être très attentif au fait de devoir mettre en place un mécanisme autorégulateur ou pas. Chez Wallimage Gaming, notre force est d’être un mécanisme sélectif, pas automatique. Tous les projets qui font des dépenses en Europe peuvent venir nous chercher. Mais nous ne retiendrons que les projets intéressants pour la Région wallonne. Dans le Tax Shelter, au niveau de l'administration fiscale, c'est automatique dès que l’on remplit les critères. Sans sélection, il faut compter sur le secteur et les intermédiaires Tax Shelter pour faire cette sélection. C’est là qu’est l’enjeu. »

Cela fonctionnera-t-il avec les systèmes existants ? Faudra-t-il que l’administration envisage quelque chose ? Comment garantir des retombées effectives en Belgique ? Impossible de répondre avant que le Tax Shelter gaming soit entré en vigueur et éprouvé.

« Si dérives il y a, ce ne sera pas dans un premier temps, selon moi. J’imagine qu’il y aura d’abord des premiers projets bien belges qui vont bénéficier du Tax Shelter car tout le monde sera prudent. C’est quand les choses commencent à bien rouler qu’il y a des risques. Si les intermédiaires Tax Shelter voient que c’est super rentable et efficace, c’est là qu'il commencerait potentiellement à y avoir un danger d'ouverture à des projets moins intéressants pour la Belgique. Mais je le répète, c’est difficile d’affirmer quoi que ce soit aujourd’hui. Voilà pourquoi il faut se dire que c’est une très bonne chose et qu’il faudra rester attentif, avoir un regard sur les projets bénéficiaires pour mesurer les impacts effectifs.

Ensuite, au niveau du gouvernement fédéral, il faudra voir si le Tax Shelter tel qu’il est aujourd'hui permet de supporter les trois industries que sont l’audiovisuel, les arts de la scène et le gaming, ou s’il faut ouvrir davantage les conditions d'investissement pour pouvoir aller chercher plus d'argent. De nouveau, il faudra rester attentif.

Il faudra faire en sorte que ce que l’on gagne du côté des jeux vidéo, on ne le perde pas au niveau audiovisuel. Mais je suis confiante sur le fait que les autorités y seront très attentives, puisqu’il y a de nombreux emplois à la clé.

Il y a donc deux questions à surveiller : l’argent est-il employé sur des projets qui ont un intérêt pour la Belgique d’une part et les besoins des trois industries additionnées parviennent-ils à être couverts par le Tax Shelter tel qu’il existe d’autre part. »

Les interrogations sont sur la table, il faut désormais tester pour y répondre !

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